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La Baie vit désormais au rythme des marées

A partir des années 60, tous les mytiliculteurs de la Baie vivent et travaillent  au rythme des marées.

C'est la mer qui commande

 

Le rythme des marées conditionne la vie mytilicole. En effet les bouchots ne se découvrent que quelques heures par jour  notamment les lignes les plus au large. Le travail doit donc se faire impérativement pendant ce temps assez court, c'est à dire environ trois heures. Pour effectuer certains travaux sur les lignes les plus au large, on ne dispose que de quelques minutes, quelques jours par an, par exemple pour  la pose des plastiques en bas des  pieux.

Ceci explique qu'un dimanche de marée est un jour comme les autres et que les horaires de travail soient si dépendants des marées de vives-eaux, c'est à dire les marées où la mer se retire assez loin pour découvrir les bouchots. Au contraire, on appelle mortes-eaux les marées où la mer se retire si peu qu'on ne voit même pas le sommet des pieux.

Ainsi, quand le travail est très important, il n'est pas rare de voir les marins repartir en mer la nuit pour finir ce qui a été commencé le jour. Le mauvais temps vient parfois aussi compromettre l'emploi du temps prévu. D'ailleurs, quand la mer est vraiment mauvaise, on se rend aux bouchots par la terre, même ceux qui ont des bateaux. On prend les camions puis, petit à petit,  les tracteurs plus fiables et plus costauds vont les remplacer.

Le règne des pinasses

 

Beaucoup de mytiliculteurs travaillent sur les pinasses, les bateaux en bois. Fini le temps où on ne comptait que les bateaux de Roger, Jean et Marcel ; au début des années 60, il y en a des dizaines dans le port. Les producteurs qui n'en possèdent pas, atteignent les bouchots toujours par la terre à cheval, en camionnette puis en tracteur à la fin des années 60.

A cette époque,  il faut partir le matin et revenir le soir alors que le travail proprement dit dans les bouchots ne dure qu'environ trois heures. En effet, les bateaux ne peuvent partir que lorsque la mer est encore haute dans le port, c'est à dire 4 heures avant le bas de la marée et ils ne peuvent revenir que lorsque la mer est remontée dans le port, c'est à dire 4 heures après le bas de la marée. Les heures d'attente et les journées de travail  sont donc longues.

C'est un vrai spectacle  de les voir partir tous ensemble vers les bouchots. Quand ils arrivent, les pieux n'émergent pas encore. Les bateaux mouillent donc bord à bord. On joue aux cartes et certains en profitent pour préparer un peu de cuisine.

Au travail, le temps est compté

 

Les mytiliculteurs ont environ trois heures pour effectuer les tâches prévues. Le travail est différent selon les périodes de l'année mais on peut dire qu'en mai,  les activités s'accélèrent vraiment car l'ensemencement des pieux avec les cordes commence.

Quand les pieux commencent à se dévoiler,  chacun prend alors son acon pour fixer les cordes sur le haut des bouchots. Elles ont été coupées sur les chantiers la veille. Quand la mer est descendue, on  enroule les cordes en spirale  le long des pieux et on les fixe avec des clous. On n'oublie pas de placer les plastiques en bas sinon gare aux crabes verts !

Au bout de quelques semaines, les moules garnissent rapidement les pieux et les recouvrent presque entièrement.

Pendant la marée, il faut aussi gratter les pieux nus recouverts de balanes. On le fait  avec une sorte de binette en forme de croissant appelée "gratte". Ainsi les cordes pourront être posées sur ces pieux le lendemain.

Il faut aussi éloigner les macreuses qui attaquent le naissain en plongée quand la mer est haute. Une ligne entière peut être dévorée par ces canards. On coiffe donc le sommet des pieux de lanières en plastique dont le flottement gêne les oiseaux : ce sont les "affolants".

Enfin, on tend des fils entre les pieux sur des branches de bois pour  que les goélands ne s'y posent pas et viennent manger les petites moules, notamment sur les lignes de terre qui se découvrent plus longtemps.

La plupart de ces méthodes plutôt efficaces sont des astuces mises au point par les mytiliculteurs eux-mêmes.

Après l'été, les moules  poussent rapidement et forment des pelisses (bourrelets) de plus en plus épaisses autour du pieu.  Il faut donc  désépaissir le pieu pour  permettre aux moules de mieux grandir.

Evidemment ces pelisses ne sont pas jetées. Quand elles sont très belles et qu'elles se tiennent bien, on les place directement sur les pieux les plus à terre et on les entoure avec des lanières en osier (l'élastique arrive plus tard).

Dans les années 60, le clayonnage est encore autorisé sur les lignes de terre ; on peut donc aussi  placer des paquets   à l'intérieur des branchages.

Les autres nouvelins plus émiettés  sont ramenés  au port et utlisés pour confectionner des boudins dans des filets en coton comme à l'époque où il n'y avait pas de cordes. Donc, après la journée de travail en mer, il faut souvent rester pour faire les boudins sur le bateau.

Le lendemain on place les boudins  sur les lignes de pieux les plus à terre. Dans les années 60, il faut encore pratiquer le catinage car les filets de coton sont fragiles et se dégradent rapidement. Il faut donc placer des branchages autour des pieux pour que les moules se fixent bien. Le naissain va pousser à travers les mailles et se répartir tout le long comme après la pose des cordes.

Mais avec l'arrivée des filets synthétiques plus solides pour faire les boudins et l'interdiction de mettre toute forme de bois sur les bouchots, le catinage et le clayonnage vont disparaitre au tout début des années 70.

En hiver, les moules  se durcissent et croissent plus en épaisseur qu'en longueur surtout sur les pieux les plus au  large : ce sont des "paquets". Si on ne s'en occupe pas, ils se détachent et tombent à terre. Comme on ne peut pas les cueillir avant la saison de la récolte qui commence en juillet, ces moules sont perdues. Quelle perte !

Au milieu des années 60, René Morisseau décide de créer des filets en les coupant sur de grandes plaques de mailles  de nylon puis en les cousant pour qu'ils prennent la forme d'un pieu. Il les met alors sur les bouchots en avril pour empêcher les paquets de moules de tomber...et ça marche !

Avec l'industrialisation de ce procédé dans les années suivantes, on va pouvoir coiffer tous les les pieux avec ces filets à mailles très lâches. Les moules qui cherchent un support pour s'accrocher vont alors pouvoir attraper le filet avec leur byssus et s'y cramponner. Quelque temps plus tard, tous les paquets absorbent le filet au sein de leur masse. Le filet forme donc une armature. Ceci explique que les troncs qui mesurent 15 cms de diamètre lorsqu'ils sont nus, atteignent 50 à 60 cms lorsqu'ils sont couverts de moules sans qu'elles se  détachent.

A la pêche aux moules

 

Quand le mois de juillet arrive, les mytiliculteurs peuvent commencer la "cueillette" des  moules. Elles atteignent alors une taille d'au moins 4 cms.  On ramasse d'abord les paquets sur la couche supérieure. On laisse ainsi les moules plus petites des couches inférieures le temps de grandir encore. L'opération peut recommencer deux ou trois fois avant que le pieu soit nu.

Cette pêche peut débuter en acon dès que le sommet des pieux émerge mais on cueille surtout les moules quand la mer est basse. Les paquets sont placés dans les mannes , dans les acons ou dans les yoles. Enfin,  elles sont  embarquées sur  les pinasses ou sur des charrettes.  Toute cette manutention se fait sans mécanisation !

Ensuite, sur le chemin du retour, les moules sont nettoyées dans une laveuse qui se trouve sur la pinasse. Elle est alimentée en eau de mer par une motopompe. Les moules sont triées et conditionnées dans des sacs en toile de jute de 25 kgs. Dans les années 70, on va passer à des sacs de 15 ou 20 kgs.  Chaque sac porte une étiquette sanitaire qui garantit la fraicheur et l'origine des moules. Contrairement à aujourd'hui où les moules sont toutes dégrappées et détachées les unes des autres, les moules à cette époque sont vendues en petits paquets.

L'arrivée  au port

 

Les pinasses peuvent revenir  au port seulement quand la mer est suffisamment remontée. A l'arrivée des bateaux, les sacs de moules préparés à bord, sont immédiatement chargés dans les camions et expédiés aux quatre coins de la France. Par contre, si les bateaux arrivent au delà de 19h environ, les moules sont lavées le lendemain matin dans le port puis expédiées par les camions aussitôt.

En 1967, un quart de la production est consommé en Poitou-Charentes et dans la région de Bordeaux, un autre quart est dirigé vers la région parisienne et le reste expédié sur la Côte d'Azur.

Il faut ajouter qu'avant son indépendance en 1962, l'Algérie absorbe une partie de la production vivaraise. Les moules sont alors retrempées à Port-Vendres  dans des réserves avant d'être livrées à la consommation.

Les réserves

 

Les réserves sont constituées de grandes caisses en bois à claire-voie sur pilotis à mi-chemin entre les bouchots et le rivage. Pendant les marées de vives-eaux, sur le chemin du retour, une partie des moules  pêchée est placée en vrac   dans ces réserves. Elles sont toujours immergées à marée haute et accessibles à marée basse même lors des mortes-eaux.

Les réserves quand la mer est haute

Ainsi, une semaine sur deux, en mortes-eaux, quand la mer ne descend pas assez pour pouvoir pêcher, on vient en tracteur ou en camion les laver au pied des réserves  afin d'assurer la continuité des ventes. On utilise l'eau de mer en creusant un peu dans la vase pour constituer des mares. L'eau arrive dans les laveuses avec une motopompe.

Les réserves quand la mer est basse
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