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L'arrivée des Charentais

De la fin des années 50 jusqu'aux années 60, de nombreux Charentais et quelques Vendéens arrivent au Vivier. La famille Salardaine est pionnière et les autres suivent rapidement.

La première marée en Janvier 1958

 

Nous sommes le 18 janvier 1958, les pionniers charentais font leur première marée dans la Baie. Il faut se rendre sur le port du Vivier pour les voir partir car ils rejoignent les bouchots avec des bateaux ramenés de chez eux : les pinasses. Cela peut paraître incroyable pour l'époque mais le  "Brise Lames" de Jean et  le "Trait d'Union" de Roger sont arrivés de Charron par train à la gare de Saint-Malo en convoi exceptionnel ! Les bateaux ont ensuite été transbordés dans les bassins du port malouin puis ont rejoint le Vivier par la mer ! Celui de Marcel, "Gazette", arrivera un an plus tard par la route. Puis viendra le "Jouet des Flots" de Paul. On leur a relevé les bordées pour s'adapter à la houle bretonne.

 

 

 

Gazette

Ce 18 janvier, Roger, Jean, Marcel et les autres emmènent une centaine de pieux vers les concessions qu'ils ont récupérées à Cherrueix sur les bouchots abandonnés par des producteurs locaux. Chacun a récupéré trois  lignes de 100 m et il va falloir planter 200 pieux par ligne !

Pas facile de partir vers 6 h du matin quand le jour n'est pas encore levé et qu'il faut rejoindre un espace que l'on ne connait pas. Les deux bateaux suivent le Guyoult au "pifomètre" puis atteignent la mer comme ils peuvent ! Au bout de quelques marées et d'une plus grande expérience,  la route sera plus facile évidemment...

Très vite les premières moules de Charron sont disposées sur les bouchots et ça pousse !

Quelques mois plus tard ils commencent le travail sur les nouvelles concessions : 48 kms de bouchots composés de 6 lignes de 100 m alignées les unes à côté des autres, c'est à dire 480 lignes. Il faudra 6 ans pour planter les 96 000 pieux car chaque ligne en compte 200.

Roger, Jean, Marcel, Georges, Paul, Claude, Yves, Jacky, Jean-Pierre puis Gérard   débutent donc ensemble l'aventure aidés par quelques employés locaux comme Jean Claude Minois, Jean-Claude Montier ou Philippe Turpin.

 

 

De nouvelles techniques et de nouveaux outils

 

Ce n'est pas 20 pieux que l'on met en une journée avec les charentais, c'est 120 voire plus ! En effet ils travaillent avec une motopompe : le pieu de 4 m tenu verticalement est dégagé à sa base par le puissant refoulement d'eau de mer propulsé par la motopompe. Avec la pression du jet d'eau dans la vase, le sol se creuse, le pieu s'enfonce de lui-même sous l'effet de son poids avec moins d'effort. La moitié du pieu se trouve donc sous la vase.

Mais il faut quand même affûter les pieux  à la hache que l'on va chercher en camion à Charron avant que le chemin de fer ne prenne la relève.

C'est un camion construit sur mesure en 1957 : un Unic rouge. Pour l'acheter, Roger a obtenu en prêt de la maison Changeux les 20 000 francs nécessaires. Ainsi les premières moules récoltées seront commercialisées en partie par ce grossiste implanté aux Halles à Paris. Les pieux en sapin vont être rapidement abandonnés car ils sont trop légers et  parfois emportés par la mer. On privilégie le chêne noir de Dordogne avec son écorce rugueuse qui permet aux moules de s'accrocher et dont le bois dur peut résister plusieurs années. Il est aussi plus flexible face à la houle.

Il faudra quand même changer des centaines de pieux chaque année.

Le camion sert aussi à faire les  600 kms aller-retour entre Charron et Le Vivier pour charger le nouvelin (les petites moules) qu'on récupère sur les bouchots de l'Atlantique dans la Baie de l'Aiguillon. En effet, en 1958 et 1959, il n'y a pas encore de cordes.

Il arrive à Jean et Marcel de descendre à Charron, de remonter au Vivier et de refaire le même trajet dans la foulée.  Assez rapidement, Maurice Tonneau, le frère de Georges, est embauché pour faire les trajets.

En 1958, Paul Salardaine, le frère de Roger, n'a pas suivi les autres au Vivier. En effet,  il est resté en Charente pour  s'occuper des bouchots et pêcher le fameux nouvelin. Une fois le nouvelin récupéré sur les bouchots de Charron, le travail consiste à fourrer ces petites moules de 1 à 2 cms dans des filets de coton :

- soit dans des longs filets de 3 m que l'on voit sur la photo de gauche, ce sont des "boudins",

- soit dans des petits filets confectionnés à la main que l'on voit sur la photo de droite, ce sont des "poques".

On les place dans des mannes en fer et le camion part pour le Vivier afin d'ensemencer les bouchots de la Baie. Tout un périple !

Une fois arrivés au Vivier, il faut partir en marée pour déposer les petites moules sur les bouchots. On utilise alors  deux techniques.

Sur les lignes les plus à terre, on dépose les "poques" remplies de naissain sur des clayonnages. Le bouchot est alors constitué d'un ensemble de pieux verticaux reliés entre eux par une trame de branches horizontales. Ce sont des branchages de châtaignier : les fascines. Les grappes de naissain recueillies dans les poques sont disposées au milieu de ces clayonnages. Les moules s'y fixent rapidement par leur byssus.

Sur les bouchots les plus au large, on pointe les boudins en haut des pieux et on les enroule autour en spirale.

Comme les filets sont en coton, ils se dégradent très vite. Il faut donc entourer le pieu de branchages pour faire tenir les moules. On appelle cette technique le catinage.

 

Les Charentais sont venus avec leurs bateaux, leurs moules et leurs techniques mais aussi avec leurs outils de travail sur l'eau. Il y a l'acon en bois, une embarcation à fond plat qu'on fait avancer à la pelle ou à la perche. Il  permet de se déplacer entre les  bouchots et de travailler quand la mer est haute et que les pieux émergent légèrement. Il peut aussi glisser sur la vase ce qui permet de l'utiliser  quand le travail se fait à terre, notamment pour y déposer les paquets de moules pêchés à la main. Ensuite, on embarque les moules à la pelle sur les bateaux et on les  lave à l'eau de mer dans des caisses en bois.  On les conditionne dans des sacs en toile de jute de 25 kgs. Arrivées au port, les moules sont expédiées sur Paris. Une partie se dirige aussi  à Port-Vendres sur les bords de la Méditerranée : les moules sont expédiées dans des mannequins en osier de 50 kgs et repartent pour l'Algérie.

On utilise également la yole en bois pour se déplacer à l'aviron entre les bouchots. C'est une embarcation plus grande et plus stable.

Le premier toit à l'hôtel de Bretagne

C'est à l'hôtel de Bretagne que les pionniers trouvent le repos les semaines où ils viennent faires les marées au Vivier et cela va durer les premiers mois de l'année 1958. Le Bretagne est un établissement hôtelier tenu par Joséphine Jourdan. Il  propose sur trois niveaux 27 chambres  avec un  lavabo dans chaque pièce et un wc sur le palier.  On s'y sent bien lorsque tout le monde se met à table pour déguster la cuisine familiale de Joséphine. Même si les  nuits sont courtes  dans l'annexe située en face de l'hôtel, on s'y repose quand même.

En ce début d'année 1958, les pionniers mènent une vie toute consacrée au travail loin de la famille qui n'a pas encore posé les bagages au Vivier. Ils font la navette entre l'Atlantique et la Manche mais c'est toujours le travail qui domine même à Charron : préparer les pieux et les branches de châtaignier, s'occuper des bouchots... Bref on peut dire que tout le monde  se voit par intermittence, en pointillé... 

En avril 1958, Georges Tonneau et  Danièle Salardaine (la fille de Paul)  sont les premiers à s'installer définitivement au Vivier : ils louent une pièce unique à Marie-Ange Douet, l'épicière du village.

Au début de l'été, c'est au tour de  Juliette avec les enfants, notamment Gérard le petit dernier. Ils louent une grande maison en face de la Baie chez Mlle Maillard. Tous les pionniers et leurs familles s'y retrouvent !

Paule Salardaine, la femme de Jean Barateau, vient s'installer définitivement avec son fils Patrick en mai 1959 dans une location neuve également en face de la Baie chez M. et Mme Albert Dupuis. Marcel Bonhomme s'installe au même moment.

Ainsi, entre l'été 1958 et  le printemps 1959, toute la "tribu charentaise" pose ses valises au Vivier. C'est une vraie migration !

D'autres Charentais et Vendéens suivent

 

Dès 1959, d'autres mytiliculteurs charentais suivent les pas des pionniers et arrivent au Vivier. Il s'agit de Paul Lebeau, de Serge Hurtaud, de René et Bernard Morisseau. Leur société HLM vient d'obtenir les dernières concessions  de bouchots au large de Cherrueix. Eux aussi viennent avec leurs bateaux, leurs yoles, leurs acons, leurs moules et leur savoir-faire. Eux aussi font des allers-retours entre Charron et le Vivier. Eux aussi logent à l'hôtel  quelques mois avant d'habiter définitivement au Vivier.

Et puis les migrations continuent. En effet la situation dans la baie de l'Aiguillon ne s'arrange pas. Les élevages sont touchés par la maladie : le fameux Mytilicola intestinalis dont Roger avait tant peur. De nouveaux Charentais et Vendéens prennent alors le même chemin. Ils quittent la Baie de l'Aiguillon au début des années 60 pour rejoindre celle du Mont-Saint-Michel. On peut citer Roland  Biron, Emile Naulet, Lucien Neau, Pierre Miau, Yves Chevalier, Norbert Bobinet, Michel Augereau, Jacques Garreaud, "Coco" Pairaud, Robert Faivre, Moïse et Henri Brizard, Maurice Tonneau, Robert Drouet, Yvon Largeaut, René Vinçonneau, Robert Juin, Guy Bredu...

Ainsi, à partir des années 60, de nombreux Charentais et Vendéens se partagent  les concessions au côté des Bretons ou travaillent en tant qu'employés. Ce phénomène va changer considérablement la situation économique, démographique et culturelle du Vivier-sur-Mer. C'est cela qui constitue la grande originalité de l'histoire vivaraise.

 

 

 

 

 

 

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