Histoire et patrimoine
Des mytiliculteurs ingénieux
L’ingéniosité, dont font preuve certains mytiliculteurs de la Baie, est à l'origine de nombreuses pratiques innovantes qu'ils mettent en place pour faire face aux contraintes et pour réduire la pénibilité du métier. Les méthodes de travail vont donc se perfectionner et se mécaniser petit à petit au rythme des innovations. Elles sont utilisées aujourd'hui par tous les grands centres mytilicoles.
Une innovation qui va révolutionner la mytiliculture : la corde
Dans la baie de l’Aiguillon, les mytiliculteurs comme Paul Salardaine luttent contre la prédation de la raie-terre qui possède un dard sur la queue et qui dévore les larves de moules. Les pertes sont très importantes. Pour y faire face, ils installent des hameçons à proximité de leurs concessions pour essayer de les pêcher et de s'en débarrasser. Paul s’aperçoit alors que le naissain de moule vient se fixer sur les orins : les bouts de ficelle retenant les hameçons. Cette observation est à l'origine d'une idée géniale dès 1959 : tendre des cordes entre les bouchots de Charron afin de capter les larves de moules !
Après le chanvre, la fibre de coco va se révéler la meilleure matière de cordage pour permettre aux larves de moules de se fixer. Ils trouvent donc un fournisseur à Marseille, qui importe les cordes depuis le Bangladesh.
Cette technique va faciliter le travail des mytiliculteurs dès 1960. Nous venons de voir qu'auparavant, ils étaient obligés d’attendre que le nouvelin apparaisse sur les pieux de Charron pour procéder au transfert. Maintenant, il suffit de connaître la période de ponte pour installer les cordes, les récupérer et les ramener dans la baie.
Les Charentais du Vivier vont donc mettre en place des stations de captage sur leurs bouchots de l'Altantique. Elles sont constituées d'un certain nombre de pieux mères, garnis en moules adultes, qui servent de reproducteurs ; les cordes sont disposées parallèlement de chaque côté de ces pieux sur un mètre de haut environ. Elles sont posées à partir du mois de février quand la période de ponte commence. Puis entre mars et juin, des larves très petites, à peine visibles, viennent se fixer de manière très dense sur les cordes et les couvrent entièrement. Cette technique de captage améliore la production, puisque les petites moules ne sont plus détachées de leur support, et plus facilement transportables d’un point à un autre.
A partir d'avril et surtout en mai, les charentais récupèrent donc dans l'Atlantique les cordes gorgées de naissain, les placent dans les manettes en fer puis les ramènent au Vivier dans la même journée.
A leur arrivée, ils partent en mer dès que possible. Sur le bateau, les cordes sont coupées en bouts de 3 mètres et placées dans les manettes. Une fois arrivés sur les bouchots, on descend les manettes dans les acons. Puis les mytiliculteurs en équilibre sur les acons vont fixer les cordes sur le sommet des pieux avec une pointe. Enfin, quand la mer est basse, on enroule les cordes autour des pieux et on les fixe en bas avec une autre pointe.
Tout le monde s'y met
Petit à petit, les techniques charentaises et notamment les cordes vont être utilisées par tous les mytiliculteurs locaux. D'ailleurs, quand les premiers Charentais arrivent en 1958, certains producteurs locaux viennent déjà demander des conseils. On peut donc maintenant parler des "mytiliculteurs vivarais" et plus généralement des "mytiliculteurs de la Baie" pour désigner l'ensemble de la profession qu'ils soient bretons, charentais ou vendéens !
Pour s'approvisionner en cordes, les mytiliculteurs bretons intègrent les circuits de certains Charentais ou développent de nouvelles sources d’importation à partir d’autres régions.
En effet cet état de dépendance des mytiliculteurs de la Baie vis-à-vis de l'Atlantique peut avoir de graves conséquences en cas de pollution ou de mauvais captage de naissain, c'est pourquoi ils multiplient les sources d’approvisionnement dès le début des années 60. Ainsi, d'autres sites entièrement dédiés au captage des moules vont être créés pour que chacun puisse se procurer du naissain. Les manettes remplies de cordes vont donc arriver aussi de Noirmoutier, d'Oléron, de Pénestin et même de Normandie (Utah Beach).
Station de captage à Pénestin
Les chantiers, une bonne idée
Un autre problème apparait : le naissain n’a pas le temps de s’adapter à son nouvel environnement et la cassure entre les deux eaux (l'Atlantique et la Manche) provoque alors une mortalité importante.
On décide donc de construire des systèmes de fixation appelés "chantiers", destinés à supporter les cordes garnies de petites moules de quelques millimètres seulement. Les chantiers ont la même structure que les stations de captage d’où proviennent les moules : ce sont des petits chevalets constitués de deux pieux et d’une latte transversale fixée à leurs sommets. Ils sont construits le long des premières lignes de bouchots.
Ainsi, quand les cordes arrivent de l'Atlantique elles sont immédiatement mises sur les chantiers. L’ensemble permet de disposer une vingtaine de cordes parallèles sur cent mètres de long. Elles sont fixées avec des clous, et disposées de façon « souple » afin de suivre le mouvement des flots au moment de la marée et de ne pas rompre en cas de forts courants.
Les chantiers ont plusieurs rôles :
- permettre au jeune naissain de s'adapter dans la baie après son arrivée, sans manipulations supplémentaires.
- étaler dans le temps la pose des cordes sur les bouchots qui ne peut se faire que peu à peu.
- permettre l'attente de marées favorables à la pose du naissain sur les lignes de bouchots les plus au large. En effet, ceux-ci ne se découvrent qu'aux très grandes marées.
- limiter le nombre d'allers-retours avec les sites de captage sur la côte Atlantique.
Après environ un mois d'attente sur les chantiers, la moule s'adapte, se renforce et s'accroit. Donc, petit à petit, entre mai et août, les cordes sont coupées puis posées sur les pieux disponibles.
Le plastique, c'est fantastique
Très vite, les mytiliculteurs remarquent qu’une partie du naissain disparait. En effet, si les moules situées en haut des pieux tiennent bon, celles du bas finissent par disparaître quelque temps à peine après leur installation : ce sont les crabes verts et les bernard-l'ermite qui montent le long des cordes pour manger les moules !
Le remède contre cette prédation va venir également des pionniers. Mais cette fois, il s'agit de Raymond, un autre frère de Roger plus âgé, qui n’est pas mytiliculteur mais ancien plombier et ferblantier. Il s'est installé en retraite au Vivier. Voyant les difficultés de ses cadets à faire croître les moules sur la hauteur totale de leurs pieux, il a l’idée de découper une boîte de conserve métallique, dont le diamètre est à peu près semblable à celui d’un pieu, qu’il scinde en deux et qu'il fixe au pied du bouchot. On constate rapidement que le naissain est moins attaqué avec cette protection. Mais c'est difficile de se procurer une boîte de conserve par pieu...
Le système est alors adapté en utilisant des bandes de plastique rectangulaires enroulées au pied des bouchots : les collerettes. Mais elles n'arrivent pas toutes faites ! Au départ, ce sont de grandes plaques de plastique assez épaisses qu'il faut découper en languettes de 12 cms de hauteur sur 30 ou 40 cms de longueur avec un grand couteau. Il faut ensuite passer à 20 cms car les crabes sont malins. Cette préparation s’effectue en semaine de morte-eau quand la marée n'est pas assez importante pour travailler en mer et pendant la période hivernale.
Ce système laborieux va perdurer jusqu’à ce qu’un industriel propose de créer lui-même les collerettes et de les livrer aux professionnels à partir de1965.
Le système est efficace mais ces collerettes sont régulièrement recouvertes de balanes (petits crustacés marins ) qui forment un tapis annulant l’effet glissant du plastique. Pendant deux mois, il faut donc nettoyer régulièrement le bas des pieux ou changer les plastiques jusqu'à tant que les moules atteignent environ 2 cms.
Ce sont encore des mytiliculteurs de la Baie (Georges père et fils) qui trouvent une solution innovante au début des années 70 : les "tahitiennes". Le bas de la bande de plastique est découpé en fines bandelettes, qui au moment où la marée monte, frottent sur le plastique et empêchent les balanes de se fixer. Le plastique autonettoyant est inventé ! Il est posé sur les pieux et les chantiers.
La première grue en 1976
Une des premières innovations au niveau mécanique est l’installation de la première grue hydraulique sur un bateau en 1976. C'est Gérard Salardaine qui y pense en premier pour son bateau blanc à liston orange "Eros". En effet, cela fait un moment qu'il remarque des grues Hap installées à l'arrière des camions. Il prend alors contact avec l'entreprise de mécanique "Rectification Malouine" et avec une entreprise parisienne qui lui fournit une grue. Après quelques déboires et des tatônnements dans l'installation, la grue hydraulique fonctionne ! Très rapidement, les grues vont équiper tous les bateaux. Cette innovation facilite la tâche des professionnels pour soulever les grosses charges notamment les acons remplis de moules et installer les pieux.
Le premier bateau amphibie en 1977
En septembre 1977, "Io" arrive au Vivier escorté par deux motards de la gendarmerie. Pas facile de conduire un engin pareil de 12 mètres de long et 4 mètres de large sur les routes de la côte. C'est un bateau à roues ! Encore une drôle d'innovation vivaraise !
C'est Jean Barataud qui en a eu l'idée en 1976 et qui nous le raconte : "Tout d'abord, je voulais construire un bateau à fond plat en aluminium avec une turbine et sans hélice pour pouvoir naviguer plus facilement dans peu d'eau. Cela permettrait aussi de moins attendre la marée dans le port pour partir en mer. J'ai fait appel aux chantiers navals Hus à Saint-Malo et les plans étaient bien avancés. Un jour que j'étais sur le port, trois ingénieurs en cravate me font constater que notre travail nous demande beaucoup de manipulations mais ça je le savais déjà ! Ils me demandent aussi pourquoi on ne va pas en Baie par la terre avec des bateaux sur roues. Le lendemain, j'appelle Robert Hus et je lui demande de mettre des roues ! Le problème est qu'il fallait un spécialiste en hydraulique pour faire monter et descendre les roues. On a contacté les chantiers Quéré dans le Finistère près de Morlaix... sans lui, rien n'aurait été possible ! Aujourd'hui le bateau roule toujours !"
Quelques mois plus tard, deux autres bateaux arrivent, ceux de Raymond et Yves Salardaine, puis des dizaines les années suivantes !
La première pêcheuse en 1979
En 1979, le métier se modernise encore avec l’introduction de la pêcheuse fixée au bout de la grue sur les bateaux à roues. Cette fois-ci, ce n'est pas une innovation bretonne mais normande. Grâce au bras articulé de la grue, le mytiliculteur plonge la pêcheuse jusqu’à la base du pieu puis actionne deux mâchoires qui enserre le pieu. Il remonte ensuite la pêcheuse afin de récupérer les moules. C’est un énorme gain de temps qui facilite le labeur des mytiliculteurs. Au début des années 80, elles sont utilisées après que les premiers paquets de moules aient été pêchés à la main. Mais très vite, les mytiliculteurs vont récolter en une seule manœuvre la totalité des moules sur le pieu. Les pêcheuses vont également être installées sur les bateaux en bois. Alain Chevalier, un jeune mytiliculteur d’origine charentaise se rappelle avoir dû convaincre son père d’adapter la pêcheuse sur le bateau en bois au début des années 80: « Pourquoi s’embêter à récolter les moules à la main alors qu’il existe maintenant des pêcheuses ?»